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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 12:45

Spécialiste Es Vampire, le sieur Sylvain m'a proposé une analyse très bien développée du premier tome de la trilogie vampirique initiée par le réalisateur Guillermo Del Toro. Très bon texte établi avec le recul nécessaire sans toutefois connaître les suites du roman (La Chute puis La Nuit Eternelle), ce qui force le respect tant le fait de travailler le texte avec des sources "historiques" lui permet de viser juste sur le déroulement des faits. Voici donc l'analyse dans son intégralité, qui vous poussera je suis sûr à investir dans des livres/films que vous ne connaissiez peut-être pas.

Bonne lecture et encore un grand merci à Sylvain, que j'invite à réitérer quand il veut!

 

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La Lignée de Guillermo Del Toro et Chuck Hogan


Voici mon opinion sur ce roman vampirique que tu m’as conseillé et que j’ai lu avec plaisir. Je vais ainsi pouvoir te donner un peu la place de cet ouvrage parmi les grandes références du genre.


La première chose qu’il faut savoir lorsque tu lis un récit vampirique du XXe, c’est qu’il y a nécessairement trois références qui vont occuper l’esprit de l’auteur lors de l’écriture de son roman : Dracula  de Bram Stoker (1897) – naturellement ! -,  Je suis une légende  de Richard Matheson (1954) et enfin Entretien avec un vampire d’Anne Rice (1976). Ces trois romans ont influencé tous les écrits du type de la 2e moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Et c’est bien le cas pour La Lignée !


Dracula est LA grande référence du genre. C’est grâce à Stoker si, dans notre imaginaire, lorsqu’on parle de vampire, on pense à un mort-vivant aux canines acérées, au teint livide, déambulant la nuit dans les cimetières à la recherche de sang frais (le grand cliché étant l’image de Bela Lugosi dans l’adaptation de Tod  Browning). Néanmoins, Stoker s’est également inspiré d’autres œuvres plus ou moins connues : « Le vampire » de Polidori (qui invente le vampire dandy et de bonne naissance), Carmilla de Sheridan Le Fanu (qui, notamment, imagine un personnage qui sera à l’origine du très fameux Van Helsing, sur lequel je reviendrai plus tard), Varney the vampire (un roman populaire – un  penny-dreadfull - de 1847 de plus huit cent pages, publié sous forme de feuilletons,  qui a connu un immense succès, mais qui est complètement tombé dans l’oubli de nos jours. D’ailleurs, il n’existe aucune traduction française – snif ! Il mérite pourtant une place d’honneur, car Stoker l’a lu et relu et y a pioché de nombreuses idées, notamment celle des canines hypertrophiées !), etc.


Mais Dracula, par son succès, a fait de l’ombre à toutes ces références et à son auteur lui-même, car si tout le monde connaît Dracula, qui peut en dire autant de Stoker ? On a même été jusqu’à douter de la paternité de l’œuvre. C’est vrai que Dracula  est un chef d’œuvre gothique, contrairement au reste de la production de cet auteur, qui est médiocre, voire très médiocre.

 

Bref, il est clair que Del Toro s’inspire de Stoker, d’ailleurs il le dit textuellement dans son roman, lorsque Setrakian explique à Eph et Nora ce que sont les zombies qui ont cru bon de déserter la morgue. Il s’en inspire mais il fait le tri : il ne garde au fond que ce qui se rattache à la science, à l’identité d’une créature inconnue. La dimension religieuse (qui est inutile, car elle risque de parasiter la dissection scientifique de la créature) est par conséquent évacuée, comme chez Anne Rice, chez qui Louis de La Pointe du Lac, le ténébreux vampire à la peau d’albâtre, se targue d’un ton provocateur, d’aimer regarder les crucifix. Del Toro garde alors son statut de mort-vivant, le teint blanchâtre, le sang comme source de nourriture, la contagion, le soleil et la décapitation comme armes efficaces pour éliminer définitivement un macchabé suceur de sang.


Le cercueil est un élément dont on a toujours du mal à se séparer. Il est presque indissociable du vampire. Dans l’adaptation de Murnau (Nosferatu, 1922), le comte Orlock (qui est en fait Dracula mais la mère Stoker, soucieuse de préserver les droits de son défunt mari, a interdit toute copie de l’œuvre, raison pour laquelle il y aura peu d’œuvres inspirées de Dracula jusque 1923, date à laquelle le dragon Stoker accepte –enfin ! – de céder les droits d’auteur), le comte donc se balade avec son cercueil à bras-le-corps, comme si ça vie en dépendait. Même Anne Rice, qui élague le mythe, conserve aussi le cercueil, car c’est un moyen efficace de se protéger de la lumière du soleil. Del Toro met en avant le même argument. Mais il souligne l’importance du tombeau par deux procédés : le premier est sa taille monumentale (plus de deux mètres cinquante) et le deuxième, sa dimension artistique : il est finement sculpté, pour rappeler le niveau social du personnage (le vampire est toujours un noble).


Il conserve également Van Helsing sous les traits de Setrakian. La référence est claire pour deux raisons : la première est qu’il constitue une autorité scientifique qui s’éloigne des sciences traditionnelles pour se tourner vers le surnaturel. Mais contrairement à Van Helsing qui reste très énigmatique jusqu’au premier meurtre mettant clairement en relief l’implication d’un vampire, Setrakian est frappé du syndrome de Cassandre, car il tente d’informer le monde de manière trop brutale.


La deuxième est que Setrakian a comme prénom Abraham, comme Van Helsing et son créateur, Bram Stoker, Bram étant le diminutif d’Abraham. Setrakian est donc simplement un type de personnage que le spectateur attend ; il est ce genre de scientifique qui est le seul à comprendre que le monde est menacé et que personne ne veut écouter au départ, à l’instar des scientifiques de 2012 et du Jour d’après.


Le dard érectile n’est pas non plus une trouvaille de Del Toro et son acolyte, car c’est un élément présent dans un roman intéressant et innovant, mais passé inaperçu aux yeux des lecteurs des années 80 : Un vampire ordinaire (Vampire Tapestry) de Suzy McKee Charnas. Le dard devient ici une référence érotique plus claire, car le vampire qui, dès sa transformation, devient asexué, ne peut trouver de substitut à sa sexualité qu’à travers la pénétration d’une morsure, d’où les cris d’extase des victimes féminines qui offrent leur cou comme si elles offraient le reste de son corps.


Je pense vraiment que Del toro a lu ce roman, car il a rendu ses vampires tout aussi « humains » en leur permettant de produire des excréments. Ce cas n’est pas unique, puisque dans le roman de McKee Charnas, le Dr Weyland pisse dans sa cellule, devant deux truands, aussi ébahis que le lecteur devant ce curieux spectacle.


L’eau courante que les vampires craignent tant dans La Lignée est également une caractéristique reprise dans Dracula. Lorsque Van Helsing expose les pouvoirs de Dracula à ses alliés, ils parlent en effet de ce point faible. Pourtant, il n’y a aucune trace de cela dans les textes, les chroniques ou autres témoignages existants. En revanche, c’est une faiblesse reconnue des sorcières. Joseph Delaney dans L’apprenti épouvanteur attribue cette peur de l’eau courante à ses sorcières, incapables donc de traverser un ruisseau. Robert Neville dans Je suis une légende fait le test avec un tuyau d’arrosage et il se rend compte que… ça ne fonctionne pas du tout ! Cette caractéristique a donc été imaginée par Stoker (à moins que ce dernier n’ait fait une erreur, à l’origine d’une confusion entre vampire et sorcière ; on ne le saura jamais) et reprise par Del Toro, telle quelle, sans chercher, comme Matheson, à démêler le vrai du faux. 


Le miroir est un objet fréquent dans les romans vampiriques. Les auteurs s’éloignent souvent de Stoker : maintenant, le vampire peut y contempler sa pâleur cadavérique et ses yeux de braise. Del Toro a fait le choix d’articuler les deux perceptions en donnant un reflet au vampire, mais un reflet altéré qui met en évidence le caractère surnaturel du personnage. Aussi peut-on en conclure que le vampire n’est pas un personnage sans âme, mais une entité à l’âme torturée. Le vampire est un personnage qui souffre. C’est une victime et, non l’inverse. L’idée d’exposer la contagion provoquée par le phénomène du vampirisme par un virus tend à rejoindre ce point de vue : le vampire n’est que la victime d’un virus. Mais, encore une fois, l’idée n’est pas neuve, car il s ‘agit là de l’essentiel même d’un roman de Richard Matheson : Je suis une légende. L’histoire raconte effectivement de quelle manière la population de la terre a disparu, emportée par une pandémie mondiale : le bacille vampiris à l’origine du virus transformait toute personne ayant été en contact avec lui, véhiculé par l’air. C’est ainsi que l’épouse même du personnage principal devient l’un de ces monstres, victime de l’épidémie.


De même, cette volonté scientifique d’examiner le mythe du vampire, de le décortiquer, de le disséquer littéralement même, plonge l’œuvre dans la science-fiction et, si encore une fois, ce principe est inspiré de Matheson, Del Toro le reprend et l’approfondit, ou plutôt l’articule, pour le mêler à une référence plus connue : les Experts. Cette dissection de la créature convertit le surnaturel en réel, le film appuiera sans doute davantage cet effet.


De plus, il faut bien remarquer que Del Toro tisse un lien avec un genre de films très à la mode : le film de zombies. Une pléthore de récits de ce type a en effet fait son apparition ses derniers temps : 28 jours plus tard, 28 semaines plus tard, Zombieland, L’Armée des morts, Survival of the Dead, Land of The Dead, Dead Land, Mad Zombies, Resident Evil (I à IV), etc. Reprendre un genre très populaire est  déjà ce qu’avait fait ce réalisateur en dirigeant le tournage de Hell Boy I & II, un comics, genre qui a toujours le vent en poupe. De manière très matérialiste donc, il cherche une manière de se garantir des entrées et ne prend pas trop de risque. Une histoire de vampires-zombies avec quelques scènes d’action bien gores attirera les foules dans les salles obscures, c’est certain !


Rien de véritablement nouveau donc dans l’œuvre de Del Toro qui ne peut que reproduire ce qui a déjà été fait, car faire du neuf avec le motif le plus employé au monde (Dracula  est le livre le plus publié au monde, après … La Bible ! Traduit en plus de 50 langues, il est toujours un roman qui fait rêver) est une tâche difficile et ingrate. Néanmoins, il est clair qu’il souhaite rafraîchir le mythe et il y parvient. Mais il est clair que c’est surtout la vision du réalisateur qui changera tout : vivement que le texte soit transposé au cinéma pour que nous puissions voir l’œil du maître en action, car c’est à cette occasion que nous verrons la perception nouvelle de cette histoire bien menée et haletante.


[1] Le roman est écrit en 1954. On redoutait à cette époque les effets de la bombe nucléaire et surtout une guerre atomique. Or, l’histoire raconte qu’en 1976 (année de la diégèse) la 3e guerre mondiale a éclaté et est le théâtre de multiples attaques nucléaires. Robert Neville y voit une conséquence de la fin du monde. 

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commentaires

H
<br /> Une superbe analyse sur ce premier roman issue de la trilogie de Del Toro et Hogan. Je suis moi-même en cours de lecture de La Lignée et ai maintenant envie, une fois que j'aurais terminé la<br /> trilogie ainsi que mes quelques Asimov en cours, de m'attaquer à quelques unes des oeuvres que tu as citées, Dracula et Carmilla ent tête (J'avais déjà Je suis une légende sur ma liste... !).<br />
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